L’histoire de l’homme accusé d’avoir créé le plus grand marché illégal en ligne au monde
Les écrits de Ross Ulbricht sont examinés minutieusement dans le cadre de son procès. En voici des extraits.
Pour le cerveau du plus grand cybermarché de la drogue en ligne, Silk Road (la route de la soie, ndlr), ce qui avait commencé comme une « expérience économique » s’est transformé en quelque chose de bien plus important, c’est du moins ce qu’affirmaient ses avocats le 21 janvier lors de son procès. Ross Ulbricht, 30 ans, est accusé de hacking, narcotrafic et de blanchiment d’argent pour son rôle présumé de créateur et de gérant du plus important site de vente de drogues au monde, sous le pseudonyme de Dread Pirate Roberts.
Lors de son procès le 21 janvier, le procureur Timothy Howard a appelé Tom Kiernan, agent du FBI et expert juridico-légal à la barre, pour quil explique les traces écrites (chats, journal personnel) trouvées dans l’ordinateur Samsung 700z de l’accusé qui fut saisi par le gouvernement, le 1er octobre 2013.
Le contenu du rapport semble soutenir l’image de Ross Ulbricht que la défense essaye de dépeindre : un jeune libertarien déçu par son travail de libraire qui a décidé de lancer un supermarché en ligne décentralisé et indépendant des régulations gouvernementales.
Dans un écrit de 2010, Ross Ulbricht affirme avoir pensé à l’idée de Silk Road (qu’il appelait à l’origine « Underground Brokers ») alors qu’il travaillait en tant qu’éditeur pour des revues scientifiques. Sa stratégie pour rendre son site plus attractif a été de vendre « plusieurs kilos de champignons hallucinogènes de très bonne qualité » qu’il avait fait pousser dans un laboratoire – une opération extrêmement osée à laquelle il ne se risquerait pas à nouveau : « j’étais à un cheveu d’aller en prison, avant même le lancement du site, quand je faisais pousser des champis », a-t-il détaillé dans son journal personnel.
D’après ses propres écrits, il a vendu 4 kg de champignons pendant ces quelques premiers mois en effectuant les transactions en personne. Le site est rapidement devenu tellement populaire qu’il a dû le recoder pour y inclure un système de paiement automatique et une option permettant des de masquer l’adresse IP des acheteurs et des vendeurs. Il lui a aussi fallu créer un serveur indépendant pour Silk Road et embaucher du personnel pour l’aider à faire face à la soudaine popularité du site. Il a admis dans son journal que sa relation avec sa petite-amie de l’époque avait souffert du succès soudain et inattendu du site.
A plus d’une reprise, Ross Ulbricht s’est lui-même appelé « dpr » (Dread Pirate Roberts) pendant qu’il communiquait avec des employés de Silk Road – employés qui furent, par ailleurs, difficiles à trouver. « Travailler pour une entreprise criminelle ne séduit pas tout le monde », a-t-il ainsi écrit à un modérateur qu’il appelait Variety Jones (VJ) fin 2011.
Variety Jones s’est avéré être une sorte de mentor – ou le diable sur l’épaule de Ross Ulbricht, en fonction du point de vue. Ce dernier a affirmé qu’il était extrêmement inexpérimenté dans l’hébergement de site quand il a lancé Silk Road. Il disposait de vagues connaissances en code et en html, mais n’arrivait pas à résoudre les bugs du site à ses débuts. Comme il fut la première personne à lui parler d’une faille de sécurité majeure du site, VJ a rapidement obtenu la confiance de Ross Ulbricht. Un écrit du 29 décembre 2011 est particulièrement révélateur de l’influence que VJ a eu sur la perception que Ross Ulbricht avait de Silk Road: « VJ m’a aidé à voir plus grand ». « Une marque dans laquelle le gens ont vraiment confiance et souhaitent soutenir ». Il avait l’ambition d’ajouter une banque coopérative à Silk Road.
L’expérience de Ross Ulbricht est rapidement devenue le centre de sa vie. Dans son journal, il dit avoir refusé des invitations à de nombreuses soirées et à des projets de camping par peur d’être éloigné de Silk Road trop longtemps. Ses colocataires à San Francisco ont déclaré qu’ils ne le voyaient que rarement sortir de l’appartement, où même éloigné de son ordinateur.
Le 1er janvier 2012, il prédit : « je pense qu’un jour, je demanderai à quelqu’un d’écrire mon histoire ». « J’ai récemment beaucoup réfléchi à la suite des évènements… Je n’ai pas envie de revenir en arrière. Je dois trouver un endroit ailleurs que chez moi, hors des sentiers battus, où je pourrais travailler ». Un peu plus tard, lors d’un chat, Ulbricht parlait avec un candidat qui semblait indécis à l’idée de faire partie de l’équipe Silk Road, par crainte de se faire prendre. Ross Ulbricht lui a certifié que cette peur-là, bien qu’incessante, n’était pas le pire du travail. « Le plus gros désavantage de ce travail est qu’il doit rester secret », écrit-il.
Ross Ulbricht avait commencé à s’inquiéter quand il a compris que ses amis savaient qu’il travaillait sur un genre de site d’échange de Bitcoins. « J’aurais simplement du dire à tout le monde que j’étais programmeur en freelance », a-t-il écrit dans un journal. « Mais maintenant, tout le monde en sait trop ».
Lors de son exposé introductif, l’avocat de la défense a déclaré que Ross Ulbricht avait créé Silk Road en tant « qu’expérience économique« , et l’a confié à quelqu’un d’autre une fois que l’opération a dégénéré. Ce « quelqu’un d’autre », le vrai Dread Pirate Roberts, court toujours, affirmait l’avocat de Ross Ulbricht. Son client serait donc le « bouc émissaire ».